Robert Yessouroun – Le vivre-ensemble avec les robots, ça vous dit quelque chose? C'est l'idée que Robert Yessouroun, écrivain belge spécialisé dans la science-fiction, développe en profondeur dans les dix nouvelles qui composent le recueil "Les voleurs d'absurde". Il y a quelques fausses notes de part et d'autre de cette symbiose... et c'est d'elles que part chaque texte.
L'écrivain met ses lecteurs à l'aise en installant le plus souvent ses intrigues dans des univers familiers, géographiquement et même du point de vue temporel. On se retrouve à Bruxelles, à Londres, à Genève aussi, dans une configuration assez semblable à celle que le lecteur d'aujourd'hui a connue avant le Covid-19. En somme, la seule différence, mais elle est de taille, c'est qu'il y a soudain des robots qui s'y baladent, et agissent, même.
Chacune des nouvelles des "Voleurs d'absurde" saisit les robots à ce moment où, dépassant leur statut de simple mécanique au service des humains, ils deviennent des êtres capables de ressentir, de réfléchir, d'apprendre – d'être des égaux des humains, en définitive, "émotifs et autonomes" pour reprendre les deux adjectifs mentionnés dans l'avertissement. Cela permet à l'auteur de mettre à l'épreuve les trois lois de la robotique d'Asimov, mais aussi d'installer des situations intéressantes de cohabitation.
Cette cohabitation s'avère polymorphe. On peut la voir comme une domination pétrie de bons sentiments dans "La maison envahissante", mettant en scène une domotique quasi totalitaire tenant sous son emprise, par sa capacité décisionnelle, un locataire portugais si indécis qu'il a deux maîtresses et ne sait laquelle privilégier – autant dire que le reste de sa vie, fait de choix, est un calvaire...
Il y a aussi ce robot immatériel, "What-If" One, qui cherche à faire mumuse avec le monde grâce aux réseaux informatiques qu'il contrôle, comme un enfant ivre de sa toute-puissance sur le monde le ferait avec une boîte de Lego dans "Sauvegarde et sauve-qui-peut": est-il possible de laisser sans contrôle la puissance de l'intelligence artificielle, émotive qui plus est, mais nettement immature? C'est par un dialogue aux accents éducatifs que l'affaire se résoudra, dans un contexte un brin futuriste où certaines villes volent et peuvent s'écraser du côté de la Bérézina.
L'ancrage dans le terroir des cités qui servent de décor aux nouvelles est assumé. De Genève en particulier, on découvre les recoins du Victoria Hall, mais aussi les vignobles de Dardagny puisque, dans la tragique nouvelle "L'Appel de la vigne", un robot œnologue devient le parangon d'une opposition entre robots hédonistes, chargés de simplifier la vie des humains pour qu'ils puissent se divertir, et robots coaches, programmés pour faire travailler l'homme en vue de sa propre amélioration. Et Dieu sait qu'il y a toujours de quoi progresser dans le domaine du bon vin!
Certaines nouvelles jouent aussi, habilement, avec les points de vue. On pense à "Rien n'est plus étrange que le réel", qui relate en parallèle deux histoires simples et étrangement (dis)semblables. Et avec "Journal d'un robot", l'auteur dessine, et c'est un texte clé, la manière dont un robot acquiert les codes de la vie parmi les hommes, alors qu'il n'en a pas l'expérience dans sa chair, son parcours dépendant, de base, du bon vouloir des humains.
Dans la même idée mais à un autre bout, le final de "L'Appel de la vigne" suggère que pour les robots, si égaux à leurs créateurs et intégrés à leur société qu'ils puissent paraître, la peine de mort sous forme de débranchement est appelée à persister. Parfait, pourrait-on dire cyniquement: avoir conscience de la possibilité de la mort, c'est aussi apprendre un élément fondateur de la condition humaine.
Alors, entre le robot domotique féru de contrôle et l'humain qui a le dernier mot, qui a le pouvoir dans cette affaire de robots? L'auteur ne tranche pas. Simplement, il propose, en dix nouvelles, autant de situations où le vivre-ensemble entre humains et robots, espèces devenues proches mais dissemblables dans leur essence, la dernière étant créature de l'homme, pour la première fois dans l'histoire capable de le dépasser sans avoir toujours la maturité requise, est mis à l'épreuve. Cela peut paraître sérieux; mais de temps à autre, au détour de phrases claires, l'auteur s'amuse à quelques clins d'œil verbaux et allusions qui ne manquent pas de faire sourire, pour détendre un propos qui s'avère philosophe.
Daniel Fattore (écrivain)
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